nuage zéro

La tour

Doan Bui

J'ai lu ce roman après en avoir entendu les premières lignes récitées dans l'exposition « Immigration est et sud-est asiatiques depuis 1860 » (qui a le mérite d'être la première expo du genre en France, mais par ailleurs un peu décevante selon moi, car trop brouillonne, je m'y suis perdue) au Musée de l'histoire de l'immigration.

À travers les récits de vie de plusieurs personnes d'origines asiatiques, immigrées ou enfants d'immigré·es, vivant dans le si particulier quartier des Olympiades dans le 13e arrondissement de Paris, Doan Bui aborde avec élégance, tendresse et humour le sujet éternel de la difficulté à trouver sa place dans la vie.

La fin du roman est étonnante, car elle plonge dans la science-fiction, en imaginant le quartier des Olympiades en 2045, rempli d'oiseaux et de tours de verre montant jusqu'aux nuages.

« Petite, Anne-Maï avait lu Astérix. Bien souvent, les identitaires de l'extrême-droite se revendiquaient Gaulois, les désignant, Anne-Maï, ses parents et tous les métèques, comme les envahisseurs. C'était étrange cet attachement des Français de souche pour les Gaulois, dont il ne restait pourtant rien sur le territoire, que de vagues légendes et une poignée de clichés de cartes postales. Grands perdants de l'histoire, les Gaulois s'étaient effacés face au triomphe de la civilisation romaine, mais ils avaient réussi à imprimer l'imaginaire français. Vercingétorix incarnait pour toujours la figure du loser magnifique. Comme les Sudistes de la Guerre de Sécession d'Autant en emporte le vent, les Russes blancs chassés par la révolution de 1917 dans les romans d'Henri Troyat, les Gaulois avaient été broyés dans le Grand Lavomatic de l'Histoire mais ils étaient devenus immortels. Leurs histoires avaient été racontées, inscrites, gravées dans l'inconscient collectif grâce aux livres, grâce aux films, grâce à tous ceux qui avaient conté leur tragédie. Mais leur histoire à eux, les Truong, où était-elle ? Le Vietnam de ses parents avait disparu sans laisser de traces. »

Doan Bui, La tour, Grasset, 2022, p.184-185

« Pour vivre, pour survivre, il fallait être souple, malléable. Longtemps, elle était restée caillou. Une terre brûlée et stérile. Et puis la terre avait bu les larmes. Accepté l'offrande du temps, qui apporte non pas l'oubli mais l'amère consolation du souvenir et de la mémoire. Et soudain, nourrie du ferment de la souffrance, une minuscule tige avait poussé dans son désert. Et devant ses yeux, Ileana vit cette chose étrange se dessiner : un futur. »

Doan Bui, La tour, Grasset, 2022, p.306