nuage zéro

Un dieu à soi

Juan Pablo Meneses

Incroyable récit de comment on peut s'acheter une religion en Inde puis fonder une église mondiale depuis la Silicon Valley et New York. Par ce bouquin, le journaliste chilien Juan Pablo Meneses ouvre des portes vertigineuses sur ce que signifie croire aujourd'hui dans un monde hypercapitaliste, sur les limites du journalisme...

Ce livre est le premier des éditions Marchialy que je lis, j'ai maintenant envie de lire tous les autres.

couverture du livre Un dieu à soi de Juan Pablo Meneses : une représentation

« À l'heure prévue, je suis arrivé dans le magasin.
Les deux cousins m'attendaient. Ils avaient l'air de frères jumeaux, la même peau sombre, la même moustache, le même pantalon blanc et les mêmes sandales en cuir. Une montre dorée pour l'un, un bracelet doré pour l'autre.
Le nouveau venu, celui qui n'était pas là la veille, me donnait des instructions comme s'il me confiait un animal exotique :
« Ne dis à personne qui te l'a vendu. Et ne lui fais pas de mal.
— Je peux lui demander une faveur ?
— Tu peux lui demander des faveurs. 
Soudain, d'un sac en plastique, ils ont sorti le dieu.
J'ai d'abord été stupéfait. J'étais sur le point d'avoir mon propre dieu, ce à quoi je ne m'attendais pas. Tant de journées passées à Bénarès, tant d'après-midi de bières, de lassis, de délire, de Gange, de morts, de fêtes, de saints, de dieux, de ferveur, de pauvreté, de tourisme, de gens, de fumée, de cendres, d'odeurs, de bruits, de chaleur, de singes, d'anachorètes, de gourous, de vaches, de types la peau sur les os, de pleurs, de bouse, de couleurs, de fakirs, de drogues, de repas, de malades, d'infirmes, de feu, de soleil, de barbes, d'éclats, de tatouages, de plaies, de joyaux, de tuniques, et un dieu, enfin un dieu, auquel il fallait maintenant donner un prix. »

Juan Pablo Meneses, Un dieu à soi, Marchialy, 2023, p.146
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« L'Inde est aimable quand on n'essaie pas de lui imposer ses propre règles, et au bout de quelques semaines, j'ai l'impression d'avoir commencé à croire en quelque chose de nouveau. Peut-être ai-je simplement commencé à soigner les blessures de guerre que te laisse un travail dans lequel tout le monde dit fièrement : « Il ne faut croire personne », ou « Dans ce cas, aucune des versions ne me semble fiable », ou « Ici, personne ne dit la vérité », ou encore « Tout ça n'est que mensonge » ? Pourquoi avons-nous tant de mal à comprendre les croyances des autres et leurs façons de vivre ? »

Juan Pablo Meneses, Un dieu à soi, Marchialy, 2023, p.105-106
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« Ce livre n'est pas une satire.
Ce livre n'est pas une satire.
Ce livre n'est pas une satire.
Je le répète, je me le répète, je vous le répète sans cesse.
(...)
En achetant mon dieu en Inde, j'ai décidé de croire.
Et c'est ce que je fais depuis lors. »

Juan Pablo Meneses, Un dieu à soi, Marchialy, 2023, p.193-194
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« Crois-tu que ton projet va ouvrir la voie à une nouvelle façon de concevoir le journalisme ?
— Cela fait longtemps que les études et les analyses sur la non-fiction latino-américaine, le journalisme narratif, se concentrent seulement sur les gens qui écrivent bien. Je pense aux représentants les plus officiels, dont on connaît tous les noms par cœur, ceux dont il est admis que ce sont de grandes plumes. Mon travail est différent, et les gens qui m'intéressent sont ceux qui, en plus de soigner leur style, expérimentent avec le genre, font bouger les formes et les frontières pour donner de l'espace à leur propre voix. Je crois que c'est là que le journalisme peut grandir et avancer. Lorsque quelqu'un est ému par une de ces non-fictions bien écrites, on est face à un lecteur moyen. Lorsque quelqu'un est ému par un texte plus expérimental, on est en présence d'un lecteur-auteur. »

Juan Pablo Meneses, Un dieu à soi, Marchialy, 2023, p.387-388