C'était un soir de grève. Nous avions marché une bonne partie de l'après-midi entre Montparnasse, Vavin et Denfert, dans une ambiance festive, printanière, joyeuse. Beaucoup de jeunes personnes, beaucoup de musiques, de chants, de cris, de pancartes rigolotes. Des combats avec la police aussi, mais nous restions gentiment à l'arrière, attendant que les gaz lacrymogènes se dispersent. Et puis finalement, nous sommes allés boire des pintes au Smoke, rue Delambre.
J'ai tracé vers Malakoff en début de soirée pour rejoindre le Théâtre 71 et voir enfin en vrai cet Olivier Dubois, dont le portrait m'avait frappée, il y a déjà quelques années dans l'émission Tracks sur Arte.
Il attend le public sur la scène, en costard noir, une clope à la main et une bouteille de champagne dans l'autre. Il offre à qui veut de boire et fumer avec lui. On s'installe tout autour de lui, sur des petits gradins de bois à même le tapis de danse.
Et puis il nous demande d'ouvrir des enveloppes, pour tirer au sort quel extrait de son répertoire il va danser pour nous, et sur quelle musique.
Et soudain, il se met en mouvement et c'est extraordinaire. Une force, une beauté, un abandon total.
Il plaisante entre deux solos, en sueur, et de plus en plus nu - il demande à chaque fois à quelqu'un de lui faire retirer une partie de ses vêtements. À la fin, il est en slip, son corps plein devant nous, dans une intimité simple, presque enfantine, malgré l'alcool, la clope et les poses lascives.
Il nous demande finalement de fermer les yeux. On l'écoute dire qu'il n'a que son corps et la danse à offrir en partage, et c'est pourtant immense. Lorsqu'on ouvre les yeux, il est vêtu d'un manteau de fourrure et son visage est couvert de paillettes, et la musique s'envole et nous dansons toutes et tous avec lui sur le plateau, dans un grand mouvement de joie.
C'est beau, c'est fort, cela fait jaillir des étincelles dans les regards, les gestes et les mots des uns et des autres ce soir-là.